Interview | Marcel Goldberg
Marcel Goldberg est professeur émérite d’épidémiologie à l’Université Paris Descartes. Docteur en médecine, en biologie humaine et en mathématiques appliquées, il a dirigé pendant plus de 20 ans une unité de recherche d’épidémiologie de l’Inserm, et a présidé la Commission scientifique spécialisée en épidémiologie de l’Inserm et l’Association des épidémiologistes de langue française. Il est auteur de plus de 350 publications scientifiques.
Marcel Goldberg travaille actuellement au sein de l’unité de service Inserm « Cohortes épidémiologiques en population » (UMS 011). Il est notamment impliqué dans la mise en place et la gestion de grandes cohortes en population (cohortes Gazel et Constances) constituant des infrastructures de recherche ouvertes à la communauté scientifique.
Parmi ses domaines d’intérêt, il s’est consacré depuis plusieurs années aux systèmes d’information en santé publique, notamment aux bases de données médico-administratives, et tout particulièrement au SNIIRAM. Dans ce cadre il a été coordonnateur du Groupe de travail « Systèmes d’information pour la santé publique » du Haut conseil de la santé publique, membre de la Commission Open Data et auteur ou contributeur de plusieurs rapports et articles. Il est aussi actuellement le coordonnateur du réseau REDSIAM (Réseau Données SNIIRAM) dont l’objectif est de favoriser par le partage d’expérience et l’interaction entre équipes, le développement, la validation et la promotion des méthodes d’analyses des données médico-administratives à des fins de recherche, de surveillance, d’évaluation et de santé publique.
Pourquoi le SNDS est-il considéré comme un système d’information unique au monde?
Réponse : La France dispose avec le SNIIRAM (désormais intégré au SNDS) d’une base de données médico-administrative nationale centralisée, constituée et gérée par des organismes publics (CNAMTS et ATIH), couvrant de façon exhaustive et permanente les aspects essentiels de la santé de la population vivant en France : données de consommations de soins et de prise en charge de l’Assurance Maladie et d’hospitalisation. Malgré certaines limites, notamment l’absence de résultats d’examens cliniques ou paracliniques et la quasi-absence de données caractérisant les personnes, cette base de données, concernant plus de 60 millions de personnes, constitue un patrimoine considérable. De plus, l’existence dans notre pays d’un identifiant individuel unique (le NIR, numéro d’identification au répertoire) utilisé par pratiquement tous les organismes publics, rend possible des appariements avec d’autres bases de données permettant d’enrichir les données du SNDS. Même si des dispositifs comparables existent dans certains pays, aucun ne couvre une population aussi vaste, ce qui explique que le SNDS est vraisemblablement sans équivalent au monde.
En quoi la création du SNDS constitue-t-elle une opportunité pour la recherche et la santé publique ?
Réponse : Grâce à l’exhaustivité de la couverture de la population et à l’enregistrement permanent des données, des travaux à visée de santé publique sont réalisés depuis déjà longtemps à partir des données du SNIIRAM : estimation de la fréquence de divers paramètres d’intérêt concernant les consommations de soins et la santé, évolutions temporelles, étude de phénomènes territoriaux, étude de coûts… Pour la recherche, même s’il ne constitue pas une panacée, le SNDS permet des recherches dans des domaines divers, comme la pharmaco-épidémiologie. Associé à des recueils de données directement auprès des personnes, comme dans le cadre de cohortes épidémiologiques, le SNDS constitue une aide qui peut être décisive pour sélectionner sans biais des sujets à inclure dans les cohortes, pour les suivre dans le temps sans les perdre de vue, et compléter les données recueillies dans des dossiers médicaux ou par des questionnaires par des informations détaillées concernant la consommation de soins et l’hospitalisation souvent plus précises que celles qui peuvent être fournies par les personnes elles-mêmes. Nous en avons l’expérience dans notre laboratoire, puisque nous apparions régulièrement nos cohortes Gazel et Constances avec le SNIIRAM, ce qui permet de nombreuses recherches qui n’auraient pas été possibles sinon.
Pourquoi l’ouverture des accès était-elle souhaitable voire nécessaire ?
Réponse : Jusqu’à présent, malgré d’importants travaux et études réalisés par des équipes d’appartenance diverse, le SNIIRAM restait encore trop peu utilisé pour la recherche et la santé publique du fait de difficultés de divers ordres : juridiques, les textes rendant très lourds (voire impossible pour la plupart des équipes de recherche du fait des restrictions concernant l’utilisation du NIR) l’accès aux données ; méthodologiques et techniques, rendant l’utilisation effective des données fortement contingentée malgré les très importants efforts de la CNAMTS pour en faciliter l’ouverture. Au total, l’ensemble des aspects juridiques, organisationnels et techniques à prendre en compte pour pouvoir utiliser les bases de données nationales de façon respectueuse des textes et efficace en termes de résultats constituait un véritable maquis juridico-institutionnel dans lequel les équipes de recherche et de surveillance avaient bien du mal à se repérer. L’ouverture des accès au SNDS est donc un progrès considérable, car elle va grandement faciliter l’utilisation du SNIIRAM et permettre la multiplication d’études nouvelles inconcevables auparavant.
A votre avis, quels seront les bénéfices du SNDS à terme pour les citoyens ?
Réponse : Les citoyens ne peuvent que bénéficier des travaux de santé publique et de recherche qui seront ainsi rendues possibles : meilleure connaissance de la santé de la population et du fonctionnement du système de soins, meilleure conduite des politiques de santé, y compris à des niveaux territoriaux fins, meilleure évaluation des effets secondaires des médicaments, retombées de la recherche pour les soins, etc. Les dangers potentiels de l’ouverture du SNDS pour les citoyens, tant au plan individuel que collectif sont, à mon avis, bien pris en compte par les nouveaux textes qui apportent des garanties suffisantes contre le mésusage des données.
Quels sont, selon vous, les perspectives d’évolution du SNDS ?
Réponse : Il me semble que le SNDS devrait évoluer dans deux directions principales : (1) élargissement des domaines couverts : mortalité, handicaps et perte d’autonomie (ce qui est déjà prévu), mais aussi intégration de résultats d’examens cliniques et paracliniques, appariement avec d’autres bases de données, comme celles de la Caisse nationale d’assurance vieillesse qui permettrait d’enrichir le SNDS de données sociales et professionnelles ; (2) développement et mise à disposition d’outils pour faciliter l’analyse des données du SNDS : il n’est en effet pas suffisant de permettre l’accès à ces données qui sont particulièrement complexes et difficiles à utiliser, et il est indispensable de fournir aux futurs utilisateurs les moyens de s’en servir dans des conditions compatibles avec les moyens dont ils disposent.